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Méditer avec la Bible,

une initiation à la Lectio Divina

POURQUOI PRIER AVEC LA BIBLE ?

 

La Parole de Dieu est, en effet, à la base de toute spiritualité chrétienne authentique. La prière – qu’on se le rappelle – doit accompagner la lecture de la Sainte Écriture. La grande tradition patristique qui a toujours recommandé d’approcher l’Écriture en établissant un dialogue avec Dieu. Comme le dit saint Augustin : « Ta prière est ta parole adressée à Dieu. Quand tu lis, c’est Dieu qui te parle ; quand tu pries, c’est toi qui parles avec Dieu ». Origène, l’un des maîtres de cette lecture de la Bible, soutient que l’intelligence des Écritures demande, plus encore que l’étude, l’intimité avec le Christ et la prière : « En t’appliquant à cette divine lecture, cherche avec droiture et avec une confiance inébranlable en Dieu le sens des divins Écrits, caché au grand nombre. Ne te contente pas de frapper et de chercher, car il est absolument nécessaire de prier pour comprendre les choses divines. C’est pour nous y exhorter que le Sauveur a dit non seulement : ‘Frappez et l’on vous ouvrira’ et ‘Cherchez et vous trouverez’, mais aussi : ‘Demandez et l’on vous donnera’ ». (Benoît XVI,  n°86-87 de l'exhortation post-synodale Verbum Domini)

Pourquoi ?

l'écoute,
l'attitude fondamentale


 

L'écoute est le premier des commandements, car la foi est faite des Paroles que Dieu nous adresse et qu'il faut apprendre à accueillir. Que disent ces Paroles? Elles sont résumées dans le Shema du livre du Deutéronome, au chapitre 6:

"Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. Tu les rediras à tes fils, tu les répéteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé ; tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison et aux portes de ta ville." (Deutéronome 6,4-9)

Comment faire ?

comment s'y prendre ?
7 étapes avec la bible en main

1

Demande l’Esprit saint

 

Avant d’entreprendre la lecture des Écritures, PRIE l’Esprit Saint afin qu’il descende en toi, qu’il « ouvre les yeux de ton cœur » et qu’il te révèle le visage de Dieu, non dans la vision mais dans la lumière de la foi. Prie avec la certitude d’être exaucé, car Dieu accorde toujours l’Esprit Saint à qui le lui demande avec humilité et docilité. Et si tu le veux, prie ainsi : « Notre Dieu, Père de la lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes. Envoie maintenant sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer Jésus Christ dans cette Parole qui vient de toi ; afin que je la connaisse plus profondément et que, en la connaissant, je l’aime plus intensément pour parvenir ainsi à la béatitude du Royaume. Amen. »

 

2

Prends la Bible, lis

 

La Bible est devant toi : ce n’est pas un livre quelconque mais le livre qui contient la Parole de Dieu ; à travers elle, Dieu veut te parler aujourd’hui, personnellement.

LIS le texte attentivement, lentement, plusieurs fois. Ce peut être un passage du lectionnaire ou d’un livre biblique. Lis-le de manière cursive, en cherchant à l’ÉCOUTER avec tout ton cœur, toute ton intelligence, avec tout ton être. Que le silence extérieur, le silence intérieur et la concentration accompagnent ta lecture pour en faire une écoute.

 

3

Cherche à travers la méditation

 

RÉFLÉCHIS sur le texte AVEC TON INTELLIGENCE illuminée par la lumière de Dieu. Aide-toi éventuellement de divers instruments : les concordances bibliques, les commentaires patristiques, spirituels, exégétiques, en cherchant à comprendre en profondeur et dans toute son étendue ce qui est écrit. Laisse tes facultés intellectuelles se plier à la volonté de Dieu, à son message ; n’oublie pas que la Bible est un livre unique et donc INTERPRÈTE L’ÉCRITURE AVEC L’ÉCRITURE, en cherchant toujours le Christ mort et ressuscité, centre de toute page et de toute la Bible. La loi, les prophètes, les apôtres parlent toujours de lui. RELIS éventuellement le texte en cherchant à faire résonner profondément le message en toi. RUMINE les paroles dans ton cœur et applique à toi-même, à ta situation, le message du texte, sans te perdre dans le psychologisme et sans en arriver à un examen de conscience. Laisse-toi émerveiller, attirer par la Parole. Regarde le Christ, reflète le Christ en toi et ne te regarde pas trop toi-même : c’est lui qui te transfigure.

 

4

Prie le Seigneur qui t’a parlé                             

 

Maintenant, rempli de la Parole de Dieu, PARLE à ton Seigneur, ou mieux réponds-lui, réponds aux invitations, aux inspirations, aux appels, aux messages qu’il t’a adressés dans sa Parole comprise dans l’Esprit Saint.

Prie avec franchise, avec confiance, sans trêve et sans glisser dans trop de paroles humaines. C’est le moment de laLOUANGE, de l’ACTION DE GRÂCE, de l’INTERCESSION. Ne maintiens pas ton regard tourné sur toi-même, mais, attiré par le visage du Seigneur connu dans le Christ, mets tes pas dans les siens sans regarder en arrière. Laisse libres tes facultés créatrices de sensibilité, d’émotivité, d’évocation, et mets-les au service de la Parole, dans l’obéissance à Dieu qui t’a parlé.

 

5

Contemple… Contemple

 

En alliance avec le Seigneur, essaie de regarder toute chose avec son regard : toi-même, les autres, les événements, l’histoire, toutes les créatures du monde. CONTEMPLER, C’EST VOIR toutes les choses et tous les êtres AVEC LES YEUX DEDIEU. Si tu vois et juges tout avec les yeux de Dieu, tu connaîtras la paix et surtout la macrothymia, la longanimité, lorsque tu écoutes Dieu, lorsque tu penses à lui. Tout est grâce et tout est en vue de l’épiphanie de l’amour de Dieu…

C’EST L’HEURE DE LA VISITE DU VERBE… qu’on ne peut raconter ni dire, différente pour chacun et pourtant expérimentée…

Le Seigneur met dans ton cœur une certaine incapacité à continuer à réfléchir, à méditer de manière discursive sur sa Parole et il t’accorde une sorte de participation au feu de communion et d’amour au-delà de toute chose, au-delà du « dit » et au-delà du silence…

 

6

Conserve la Parole dans ton cœur

 

La Parole que tu as reçue, CONSERVE-LA DANS TON CŒUR comme Marie, la femme de l’écoute. CONSERVE, GARDE, RAPPELLE-TOI la Parole reçue. Souviens-t’en aux diverses heures du jour, en te rappelant le passage prié ou même seulement un verset qui te revient à l’esprit. Ceci est le SOUVENIR DE DIEU, qui peut donner une grande unité à ta journée, à ton travail, à ton repos, à ta vie sociale et à ta solitude. RÉVEILLE cette semence de la Parole déposée en toi si elle paraît s’assoupir, et reste vigilant afin que la Parole t’accompagne toute la journée.

 

7

N’oublie pas : écouter, c’est obéir

 

Si tu as vraiment écouté la Parole, tu dois la mettre en pratique en réalisant dans le monde, parmi les hommes, parmi tes frères, ce que Dieu t’a dit. ÉCOUTER, C’EST OBÉIR et donc, prends des résolutions pratiques par rapport à ta vocation et à ta fonction parmi les hommes, en laissant toujours la Parole avoir le premier rang et la place centrale dans ta vie.

ENGAGE-TOI DONC À RÉALISER LA PAROLE DE DIEU pour ne pas être condamné par lui qui te jugera, non sur ce que tu as entendu d’elle, mais sur ce que tu as mis en pratique dans toute ta vie personnelle, sociale, professionnelle, politique et ecclésiale. L’œuvre qui t’attend, c’est de croire et, par la foi, de montrer en toi LE FRUIT DE L’ESPRIT : « amour, joie, paix, patience, bienveillance, bonté, foi, humilité et maîtrise de soi. » (Gal. 5,22) Et tu connaîtras la grande joie de l’amour, la miséricorde.

Source: Enzo Bianchi, Prier la Parole, Paris, Albin Michel, 2014.

Lettre de Guigues

un précieux enseignement sur la lectio divina

Lettre de Guigues II le chartreux
au frère Gervais

On sait très peu de choses sur la vie de Guigues II le Chartreux. Il devient le 9ème prieur de la Grande Chartreuse en 1173 ou 1174. Il meurt en 1188. Guigues, dans une magnifique « Lettre sur la vie contemplative », explique à un disciple ce qu’il appelle l’Échelle des Moines, et qui correspond à la pratique monastique que l’on propose maintenant plus fréquemment dans l’Église sous le nom de « lectio divina ».

On sait très peu de choses sur la vie de Guigues II le Chartreux. Il devient le 9ème prieur de la Grande Chartreuse en 1173 ou 1174. Il meurt en 1188. Guigues, dans une magnifique « Lettre sur la vie contemplative », explique à un disciple ce qu’il appelle l’Échelle des Moines, et qui correspond à la pratique monastique que l’on propose maintenant plus fréquemment dans l’Église sous le nom de « lectio divina ».

1 Adresse et salutation

Ps 143,12

Que nos fils soient pareils à des plants bien venus dès leur jeune âge ; * nos filles, pareilles à des colonnes sculptées pour un palais !

Ex 13,14

Alors, demain, quand ton fils te demandera : “Que fais-tu là ?”, tu lui répondras : “C’est par la force de sa main que le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte, la maison d’esclavage.

Ct 6,4

Tu es belle, ô mon amie, comme Tirsa, splendide comme Jérusalem, terrible comme des bataillons !

Rm 11,24

Toi qui étais par ton origine une branche d’olivier sauvage, tu as été greffé, malgré ton origine, sur un olivier cultivé ; à plus forte raison ceux-ci, qui sont d’origine, seront greffés sur leur propre olivier.

Frère Guigues à son bien-aimé Frère Gervais. Que le Seigneur soit sa délectation.

Frère, mon amour pour toi est une dette, puisque tu as commencé le premier à m’aimer, et je suis obligé de te répondre, puisque ta lettre m’a, la première, invité à écrire. J’ai donc formé le dessein de t’adresser des pensées qui me sont venues au sujet de la vie spirituelle des moines. Toi qui as mieux appris cette vie par l’expérience que moi par le raisonnement, tu seras juge et correcteur de mes réflexions. À toi tout d’abord, j’offre à bon droit ces prémices de mon labeur ; tu recueilleras ces premiers fruits d’une jeune plante (cf. Ps. 143,12), que tu as enlevée furtivement par un louable larcin à la servitude du Pharaon (Ex. 13,14) et placée dans l’armée régulière des combattants (Cant. 6,3.9), en greffant avec prudence sur le bon olivier le rameau habilement coupé de l’olivier sauvage (Rom. 11, 17.24).

2 Les quatre degrés de l'échelle spirituelle

Gn 28,12

Jacob eut un songe : voici qu’une échelle était dressée sur la terre, son sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu montaient et descendaient.

Gn 29,20

Jacob travailla sept ans pour Rachel – sept ans qui lui semblèrent quelques jours, tellement il l’aimait.

Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l’exercice spirituel de l’homme, et tout à coup s’offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : lecture, méditation, prière, contemplation. C’est l’échelle des moines, qui les élève de la terre au ciel. Certes, elle a peu d’échelons ; elle est immense pourtant et d’une incroyable hauteur. Sa base repose sur la terre, son sommet pénètre les nuées et scrute les secrets des cieux (Gen. 28, 12). Les degrés sont divers en noms et en nombre, et ils sont distincts également en ordre et en importance. Si quelqu’un étudie avec soin l’efficacité de chacun d’eux sur nous, leurs mutuelles différences et leur hiérarchie, il y trouvera tant d’utilité et de douceur qu’il estimera court et facile tout le labeur et l’application (cf. Gen. 29,20) dépensés sur cet objet.

La lecture est l’étude attentive des Écritures, faite par un esprit appliqué. La méditation est une opération de l’intelligence, procédant à l’investigation studieuse d’une vérité cachée, à l’aide de la propre raison. La prière est une religieuse application du cœur à Dieu pour éloigner des maux ou obtenir des biens. La contemplation est une certaine élévation en Dieu de l’âme attirée au-dessus d’elle-même et savourant les joies de la douceur éternelle.

Ayant décrit les quatre échelons, il nous reste à voir leurs offices à notre égard.

3 Quel est le rôle de chacun des degrés

La lecture recherche la douceur de la vie bienheureuse, la méditation la trouve, la prière la demande, la contemplation la goûte. S’il est permis de s’exprimer ainsi, la lecture apporte une nourriture substantielle à la bouche, la méditation mâche et triture cet aliment, la prière obtient de goûter, la contemplation est la douceur même qui réjouit et refait. La lecture est dans l’écorce, la méditation dans la moelle, la prière dans l’expression du désir, la contemplation dans la jouissance de la douceur obtenue.

Pour voir cela de manière plus expressive, proposons un exemple, parmi bien d’autres.

4 Fonction de la lecture

À la lecture, j’entends ces mots : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. » (Mt 5,8) Voilà une brève sentence, mais toute remplie de multiples sens, pleins de douceur, pour la nourriture de l’âme. Elle est offerte comme une grappe de raisin. L’âme, après l’avoir considérée avec soin, dit en elle-même : il peut y avoir ici pour moi quelque bien, je rentrerai dans mon cœur et je tâcherai de comprendre et de trouver si possible cette pureté. Elle est en effet un bien précieux et désirable, la pureté dont les possesseurs sont appelés bienheureux, à laquelle est promise la vision de Dieu, c’est-à-dire la vie éternelle, et qui a été louée par tant de témoignages de la Sainte Écriture. Désireuse de s’expliquer mieux tout cela à elle-même, l’âme commence donc à mâcher et triturer cette grappe, elle la met au pressoir, elle excite la raison à rechercher quelle est cette pureté si précieuse et comment on peut l’acquérir.

5 Fonction de la méditation

Gn 37,22

Et il ajouta : « Ne répandez pas son sang : jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main sur lui. » Il voulait le sauver de leurs mains et le ramener à son père.

Ps 118,37

Détourne mes yeux des idoles : que tes chemins me fassent vivre.

Ps 44,3

Tu es beau, comme aucun des enfants de l'homme, la grâce est répandue sur tes lèvres : oui, Dieu te bénit pour toujours.

Is 53,2

Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire.

Si 6,32

Si tu le veux, mon fils, tu deviendras instruit ; à force d’application, tu auras du savoir-faire.

Ct 3,11

Sortez et regardez, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont sa mère le couronna au jour de ses noces, au jour de la joie de son cœur.

Jn 4,11

Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?

Jn 12,3

Or, Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle versa le parfum sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum.

Eccl 1,18

Beaucoup de sagesse, c’est beaucoup de chagrin. Qui augmente son savoir augmente sa douleur.

Jn 19,11

Jésus répondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. »

Rm 1,21

puisque, malgré leur connaissance de Dieu, ils ne lui ont pas rendu la gloire et l’action de grâce que l’on doit à Dieu. Ils se sont laissé aller à des raisonnements sans valeur, et les ténèbres ont rempli leurs cœurs privés d’intelligence.

1 Co 12,11

Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Une méditation attentive commence donc. Elle ne reste pas à l’extérieur, elle ne s’arrête pas à la surface ; elle établit plus haut sa marche, pénètre à l’intérieur, scrute tous les détails. Elle remarque avec soin que le Seigneur n’a pas dit: « Bienheureux les corps purs », mais « les cœurs purs » ; car il ne suffit pas d’avoir nos mains innocentes (Gen. 37,22) d’œuvres mauvaises, si notre esprit n’est pas purifié des pensées dépravées. Le prophète avait déjà confirmé cela de son autorité, quand il avait dit : « Qui gravira la montagne du Seigneur ? Qui se tiendra dans son sanctuaire ? Celui qui aura les mains innocentes et le cœur pur. » (Ps. 23,3-4) Puis elle considère combien le même prophète désire cette pureté du cœur, quand il prie ainsi : «Seigneur, créez en moi un cœur pur (Ps. 50,10) », et encore: « Mon cœur s’est détourné de l’iniquité, sans quoi le Seigneur ne m’eût pas exaucé. » (Ps. 65,18) La méditation réfléchit au grand soin que Job apportait à cette garde du cœur, lui qui disait : « J’ai fait un pacte avec mes yeux, pour ne penser à aucune vierge. » (Jb 31,1) Voilà comment se contenait le saint homme qui fermait les yeux pour ne pas voir un vain objet (Ps. 118,37), pour ne pas regarder imprudemment ce qu’il lui arriverait ensuite de désirer malgré lui.


Après avoir scruté ces réflexions et d’autres idées analogues au sujet de la pureté du cœur, la méditation se poursuit en pensant à la récompense promise. Combien glorieux et délectable ce serait de voir la face si désirée du Seigneur, plus belle que le visage de tous les enfants des hommes (Ps. 44,3), non plus abjecte et vile (cf. Is. 53,2), non plus sous la figure dont le revêtit sa mère, mais vêtue d’une robe d’immortalité (cf. Sir. 6,32), couronnée du diadème que lui imposa son Père au jour de sa résurrection et de sa gloire (cf. Ct. 3,11), « le jour que le Seigneur a fait (Ps. 117,24)». Elle songe que dans cette vision se trouve pour elle la satiété dont le prophète a dit : « Je me rassasierai à contempler votre gloire. » (Ps. 16,15)

Vois quelle liqueur précieuse a coulé de cette toute petite grappe, quel feu immense a pris naissance d’une étincelle ! Combien s’est allongée sur l’enclume de la méditation cette masse si exiguë : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » ! Mais combien pourrait-elle s’allonger plus encore, si une âme expérimentée la travaillait ? Car je sens que le puits est profond, mais moi, novice encore sans expérience, à peine ai-je trouvé moyen d’y puiser quelques gouttes (Jn 4,11).


Enflammée par ces brandons, stimulée par ces désirs, l’âme brise l’albâtre et commence à pressentir le parfum du baume (cf. Mc 14,3 ; Jn 12,3), sinon déjà par le goût, du moins comme par l’odorat. Elle comprend par là combien il serait suave de ressentir d’expérience cette pureté, dont elle sait que la méditation donne une telle joie. Mais que fera-t-elle ? Brûlant du désir de la posséder, elle ne trouve pas en elle-même comment la faire sienne, et plus elle la cherche, plus elle en a soif. Tandis qu’elle s’applique à la méditation, sa souffrance augmente (cf. Eccl. 1,18) de ne pas sentir la douceur que cette méditation lui montre dans la pureté du cœur sans la lui donner. Car il n’appartient pas à celui qui lit ou médite de ressentir cette douceur, s’il n’en reçoit d’en haut le don (Jn 19,11). Lire, en effet, et méditer, cela est commun aux bons et aux méchants ; les philosophes païens eux-mêmes ont su trouver par l’exercice de la raison une notion sommaire du vrai Bien. Mais, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu gloire comme Dieu (Rom. 1,21) ; et, présumant de leurs forces, ils disaient : « Nous l’emporterons grâce à notre langue, nous avons avec nous nos lèvres. » (Ps. 11,5) Ils n’ont pas mérité de recevoir ce qu’ils avaient pu entrevoir. « Ils se sont abandonnés à leurs pensées (Rom. 1,21) », et « toute sagesse a été dévorée (Ps. 106,27) » car elle avait sa source dans l’étude des disciplines humaines, non dans l’Esprit de Sagesse, qui seul donne la vraie sagesse, c’est-à-dire la science savoureuse, cette science qui réjouit et nourrit avec une inestimable saveur l’âme dans laquelle elle se trouve ; c’est d’elle qu’il a été écrit : « La sagesse n’entrera pas dans l’âme perverse. » (Sag. 1,4) La vraie sagesse procède de Dieu seul. Et comme le Seigneur a concédé à beaucoup l’office de baptiser, mais a gardé pour lui seul le pouvoir et l’autorité de remettre les péchés par le baptême – ce qui fait dire à Jean par antonomase, en précisant bien : « C’est lui qui baptise (Jn 1,33) » –, de même nous pouvons dire de lui : voici celui qui donne saveur à la sagesse, et à l’âme une science savoureuse. La parole est proposée à tous, la sagesse de l’esprit à un petit nombre, car c’est le Seigneur qui distribue cette sagesse à qui il veut, et quand il veut (I Cor. 12,11).

6 Fonction de la prière

Ps 26,8

Mon coeur m'a redit ta parole : « Cherchez ma face. »

Ps 76,7

La nuit, je me souviens de mon chant, je médite en mon coeur, et mon esprit s'interroge.

Ps 38,4

Mon coeur brûlait en moi. Quand j'y pensais, je m'enflammais, et j'ai laissé parler ma langue.

Lc 24,30-31

Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna.

Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards.

Lc 16,24

Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.

Ct 2,5

Soutenez-moi par des gâteaux de raisins, fortifiez-moi avec des pommes, car je suis malade d’amour !

L’âme a donc vu qu’elle ne peut atteindre par elle-même la douceur désirée de la connaissance et de l’expérience. Plus elle s’élève (Ps. 63,7), plus Dieu est distant (Ps. 63,8). Alors elle s’humilie et se réfugie dans la prière : Seigneur, que seuls les cœurs purs peuvent voir, je recherche, par la lecture et la méditation, ce qu’est la vraie pureté de cœur et comment on peut l’obtenir, pour devenir capable par elle de vous connaître au moins un peu. J’ai cherché votre visage, Seigneur ; Seigneur, j’ai cherché votre visage (cf. Ps. 26,8) ; j’ai longtemps médité dans mon cœur (cf. Ps. 76,7), et dans ma méditation s’est développé immensément un feu (cf. Ps. 38,4), le désir de vous connaître davantage. Quand vous me rompez le pain de la Sainte Écriture (cf. Lc 24,30-31), vous m’êtes connu par cette fraction du pain (cf. Lc 24,35) ; plus je vous connais, plus je désire vous connaître, non plus seulement dans l’écorce de la lettre, mais dans la connaissance savourée de l’expérience. Et je ne demande pas ce don, Seigneur, à cause de mes mérites, mais en raison de votre miséricorde. J’avoue, en effet, que je suis une âme pécheresse, indigne ; mais « les petits chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » (Mt 15,27) Donnez-moi donc, Seigneur, les arrhes de l’héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour me rafraîchir dans ma soif (cf. Lc 16,24), car je brûle d’amour (cf. Cant. 2,5.).

7 Les effets de la contemplation

Ps 33,16

Le Seigneur regarde les justes, il écoute, attentif à leurs cris.

1 P 3,12

Car le Seigneur regarde les justes, il écoute, attentif à leur demande. Mais le Seigneur affronte les méchants.

Par de tels mots brûlants, l’âme enflamme son désir, elle montre ainsi l’état auquel elle est parvenue, par ces incantations elle appelle son Époux. Or le Seigneur, dont le regard se pose sur les justes, et qui non seulement écoute leurs prières (cf. Ps. 33,16. I P. 3,12.), mais se rend attentif au cœur même de la prière, n’attend pas que celle-ci soit tout à fait achevée. Il interrompt cette prière au milieu de son cours ; il se présente à l’improviste, il se hâte de venir à la rencontre de l’âme qui le désire, baigné de la rosée d’une céleste douceur, oint des parfums les plus précieux ; il recrée l’âme fatiguée, il nourrit celle qui a faim, il rassasie son aridité, il lui fait oublier tout le terrestre, il la vivifie en la mortifiant par un admirable oubli d’elle-même, et en l’enivrant la rend sobre. Comme dans certains actes charnels, l’âme est à ce point vaincue par la concupiscence de la chair qu’elle en perd tout usage de la raison et que l’homme devient quasi tout charnel, de même à l’inverse, dans cette contemplation supérieure, les mouvements de la chair sont à ce point absorbés et dominés par l’âme que la chair ne contredit en rien à l’esprit et que l’homme devient quasi tout spirituel.

8 Les signes de la venue de la grâce

Mt 24,3

Puis, comme il s’était assis au mont des Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui à l’écart pour lui demander : « Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ta venue et de la fin du monde. »

Ps 35,8

Qu'il est précieux ton amour, ô mon Dieu ! A l'ombre de tes ailes, tu abrites les hommes.

Is 66,11

Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire.

Ps 79,5-6

Seigneur, vas-tu encore longtemps le nourrir du pain de ses larmes, l'abreuver de larmes sans mesure ?

Ps 41,4

Je n'ai d'autre pain que mes larmes, le jour, la nuit, * moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? »

Ps 103,15

...le vin qui réjouit le coeur de l'homme, l'huile qui adoucit son visage, et le pain qui fortifie le coeur de l'homme.

1 Jn 2,27

Quant à vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin d’enseignement. Cette onction vous enseigne toutes choses, elle qui est vérité et non pas mensonge ; et, selon ce qu’elle vous a enseigné, vous demeurez en lui.

Mais, Seigneur, comment découvrirons-nous le moment où vous faites ces merveilles, et quel sera le signe de votre visite (cf. Mt 24,3) ? Les soupirs et les larmes sont-ils les messagers et les témoins de cette consolation et de cette joie ? S’il en est ainsi, c’est là une antiphrase nouvelle, un signe inusité. Quel rapport, en effet, entre la consolation et les soupirs, entre la joie et les larmes ? N’est-ce pas plutôt l’abondance débordante de la rosée intérieure infusée d’en haut, l’ablution de l’homme extérieur, indice de la purification intérieure ? Au baptême des petits enfants, la purification de l’homme intérieur est figurée et signifiée par l’ablution extérieure. Ici, au contraire, de l’ablution intérieure procède la purification extérieure. Ô heureuses larmes, par lesquelles sont lavées les taches intérieures, sont éteints les incendies allumés par nos péchés ! « Bienheureux, vous qui pleurez ainsi, car vous rirez. » (Lc 6,11) En ces larmes, ô mon âme, reconnais ton Époux, embrasse le Désiré, enivre-toi maintenant du torrent de délices (cf. Ps. 35,8), aspire le lait et le miel du sein de la consolation (cf. Is. 66,11). Ces soupirs et ces larmes sont les admirables petits présents et les douceurs que t’a décernés et conférés ton Époux. En ces larmes, il t’a apporté un breuvage à pleine mesure (cf. Ps. 79,6). Elles sont pour toi un pain de jour et de nuit (cf. Ps. 41,4), le pain qui fortifie le cœur de l’homme (cf. Ps. 103,15), plus doux que le miel qui découle des rayons (cf. Ps. 18,11) – Ô Seigneur Jésus, si elles sont douces à ce point, les larmes excitées par votre souvenir et votre désir, combien douce sera la joie contenue dans votre claire vision ? S’il est si doux de pleurer pour vous, combien sera-t-il doux de jouir de vous !


Mais pourquoi révélons-nous en public ces colloques secrets ? Pourquoi nous efforçons-nous d’exprimer par de banales paroles ces inénarrables tendresses ? Ceux qui n’ont pas éprouvé ces merveilles ne les comprendront pas: ils les liraient de manière plus claire au livre de l’expérience, là où l’action divine enseigne par elle-même (cf. I Jn 2,27). Autrement, en effet, la lettre extérieure n’est d’aucun profit au lecteur ; la lecture de cette lettre extérieure a trop peu de saveur, si une explication puisée dans le cœur ne vient révéler le sens intérieur.

9 Comment la grâce se cache

Mt 17,4

Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »

Ô mon âme, nous avons trop longtemps poursuivi ce discours. Car il était bon pour nous d’être là, avec Pierre et Jean, à contempler la gloire de l’Époux, prêts à rester longtemps avec lui, s’il voulait faire en ce lieu, non deux ou trois tentes (cf. Mt 17,4), mais une seule, où nous serions ensemble, où nous jouirions ensemble. Mais déjà l’Époux s’écrie : « Laisse-moi partir, car voici que monte l’aurore. » (Gen. 32,26) Tu as reçu maintenant la lumière de la grâce et la visite que tu désirais. Ayant donc donné sa bénédiction, « luxé l’articulation de la hanche de Jacob et changé son nom en celui d’Israël (cf. Gen. 32,25-32) », l’Époux si longtemps désiré se retire pour un peu de temps ; il s’est bien vite enfui. Il se dérobe, en ce qui regarde la visite dont nous avons parlé et la douceur de sa contemplation ; il demeure cependant présent quant à la conduite, quant à la grâce et à l’union.

10 Comment la grâce se cachant pour un temps coopère à notre bien

Rm 8,28

Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour.

2 Co 12,7

Et ces révélations dont il s’agit sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime.

Rm 8,18

J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous.

1 Co 13,12

Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu.

Ps 40,4

Le Seigneur le soutient sur son lit de souffrance : si malade qu'il soit, tu le relèves.

Ps 33,9

Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge!

Dt 32,11

Tel un aigle qui éveille sa nichée et plane au-dessus de ses petits, il déploie son envergure, il le prend, il le porte sur ses ailes.

1 P 2,3

puisque vous avez goûté combien le Seigneur est bon.

Ct 1,3

Délice, l’odeur de tes parfums ; ton nom, un parfum qui s’épanche : ainsi t’aiment les jeunes filles !

Ac 7,55

Mais lui, rempli de l’Esprit Saint, fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu.

1 Co 13,12

Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu.

Ne crains rien, ô épouse, ne désespère pas, ne te crois pas méprisée, si pour un peu de temps l’Époux te dérobe son visage. Tout cela concourt à ton bien (cf. Rom. 8,28) ; le départ comme la venue de l’Époux sont un gain pour toi. Il est venu pour toi, et c’est encore pour toi qu’il se retire. Il est venu pour ta consolation, il se retire par prudence, pour que la grandeur de la consolation ne t’enorgueillisse pas (cf. II Cor. 12,7), de peur que si lui, l’Époux, demeurait toujours avec toi, tu ne commences à mépriser tes compagnes et que tu n’attribues cette consolation, non plus à la grâce, mais à la nature. Or cette grâce est donnée quand le veut l’Époux et à qui il veut ; elle n’est point possédée comme par droit héréditaire. Selon un proverbe commun, « une trop grande familiarité engendre le mépris ». L’Époux s’est donc retiré de crainte d’être méprisé s’il est trop assidu. Absent, qu’il soit désiré davantage ; désiré, qu’il soit cherché avec plus d’ardeur ; longtemps cherché, qu’il soit enfin trouvé avec plus de joie.

En outre, si la consolation ne manquait jamais – bien qu’au regard de la gloire future qui sera révélée en nous (Rom. 8,18), elle soit seulement confuse et partielle (cf. I Cor. 13,12) – nous penserions peut-être que nous avons ici-bas la cité permanente et nous chercherions moins la cité future (Héb. 13,14). Pour que nous ne prenions pas l’exil pour la patrie, ou les arrhes pour la récompense complète, l’Époux est venu de temps en temps et il est reparti, tantôt apportant la consolation, tantôt l’échangeant pour le lit tout entier douloureux d’un malade (cf. Ps. 40,4). Il nous a permis de goûter un peu de temps combien est grande la douceur (cf. Ps. 33,9), mais avant que nous l’ayons pleinement ressentie, il s’est dérobé. Ainsi il nous provoque à prendre notre vol, en voletant au-dessus de nous, les ailes presque étendues (cf. Deut. 32,11), comme s’il disait : Voilà que vous avez un peu goûté ma suavité et ma douceur (cf. I P. 2,3), mais si vous voulez être pleinement rassasiés de cette douceur, courez à ma suite à l’odeur de mes parfums (cf. Cant. 1,3), haussez vos cœurs jusque-là où je suis, à la droite du Père (cf. Act. 7,55). Là vous me verrez (Jn 16,19), non plus en figure et en énigme, mais face à face (I Cor. 13,12), « et votre cœur sera rempli de joie, et votre joie, nul ne pourra vous la ravir » (Jn 16,22).

11 Avec quelle prudence l'âme doit se comporter après la grâce de la visite du Seigneur

Ex 34,14

Car tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu. Le Seigneur, en effet, a pour nom : “Jaloux” ; il est un Dieu jaloux.

Ps 44,3

Tu es beau, comme aucun des enfants de l'homme, la grâce est répandue sur tes lèvres : oui, Dieu te bénit pour toujours.

Ep 5,27

Il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée.

Is 1,15

Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang.

Mais prends garde à toi, ô épouse : quand ton Époux s’absente, il ne se retire pas loin ; et si tu ne le vois plus, lui cependant te regarde toujours. « Il est plein d’yeux tout autour. » (Éz. 1,18) Tu ne peux jamais échapper à sa vue. Il a également auprès de toi ses envoyés – des esprits qui sont de très sages messagers – pour voir comment tu te conduis en l’absence de l’Époux ; ils t’accuseront devant lui s’ils ont reconnu en toi quelques signes d’impureté ou de légèreté. Cet Époux est un époux jaloux (cf. Ex. 34,14) : s’il t’arrive d’admettre un autre amour, ou de t’appliquer à plaire davantage à un autre, aussitôt il s’éloigne de toi pour s’unir à d’autres vierges fidèles. Il est délicat, cet Époux, il est noble, il est riche, il est le plus beau des enfants des hommes (Ps. 44,3) ; aussi ne veut-il avoir une épouse que parfaitement belle. S’il voit en toi une tache, ou une ride (cf. Éph. 5,27), il détourne aussitôt son regard (cf. Is. 1,15), car il ne peut supporter aucune impureté. Sois donc chaste, sois réservée et humble, pour mériter ainsi d’être souvent visitée par ton Époux.

Je crains que ce discours ne t’ait retenu trop longtemps ; la richesse du sujet m’y a contraint, comme aussi sa douceur. Ce n’est pas de moi-même que je poursuivais, mais j’étais entraîné malgré moi par ce charme.

12 Récapitulation

Pr 2,4

Si tu la recherches comme l’argent, si tu creuses comme un chercheur de trésor...

Mt 13,44

Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.

Pour mieux voir tous les développements précédents groupés ensemble, nous en passons en revue le résumé par manière de récapitulation. Ainsi qu’il a été noté dans les exemples proposés, tu peux voir comment les divers degrés étudiés sont liés entre eux ; chacun précède le suivant, non seulement dans l’ordre du temps, mais dans l’ordre de la causalité. Car la lecture se présente la première, comme le fondement ; elle fournit un sujet et nous conduit à la méditation. La méditation recherche plus attentivement ce qu’il faut désirer ; en creusant (cf. Prov. 2,4), elle découvre le trésor (cf. Mt 13,44) et le montre ; mais comme elle ne peut le saisir par elle-même, elle nous conduit à la prière. La prière, s’élevant de toutes ses forces vers Dieu, demande le trésor désirable : la suavité de la contemplation. La contemplation, en survenant, récompense le labeur des trois premiers degrés ; elle enivre de la rosée d’une céleste douceur l’âme altérée.


La lecture est un exercice externe, la méditation est un acte de l’intelligence intérieure, l’oraison un désir, la contemplation un dépassement au-dessus de tout sens. Le premier degré est celui des commençants, le second des progressants, le troisième des fervents, le quatrième des bienheureux.

13 Comment ces degrés sont reliés les uns aux autres

Pr 22,28

Ne déplace pas une borne ancienne : ce sont tes ancêtres qui l’ont posée.

Ap 3,20

Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi.

Ces degrés sont à ce point liés entre eux par le service mutuel qu’ils se rendent, que les premiers sont de peu ou de nul profit sans les suivants, et que les suivants ne sont jamais acquis ou le sont rarement sans les précédents. À quoi bon, en effet, occuper le temps par une lecture prolongée, parcourir la vie et les écrits des saints, si ce n’est pour en puiser le suc par la mastication et la rumination, puis pour faire pénétrer le suc jusqu’au secret du cœur en assimilant cette lecture, afin de considérer avec soin notre état grâce à elle et de nous efforcer d’accomplir les œuvres de ceux dont nous avons désiré recueillir les actions ? Mais comment réfléchirons-nous à cela, comment pourrons-nous nous garder de transgresser les limites fixées par nos Pères (cf. Prov. 22,28) en méditant des erreurs ou des vanités, si nous n’avons été tout d’abord instruits à cet égard par la lecture ou l’enseignement ? L’enseignement, en effet, se rapporte en quelque manière à la lecture : on a coutume de déclarer avoir lu, non seulement des livres dont on a fait soi-même ou par d’autres la lecture, mais aussi ceux que l’on a connus par l’enseignement des maîtres.


De même, que sert à un homme d’avoir vu par la méditation quel est son devoir, s’il ne se hausse à la mesure de l’accomplissement de ce devoir par le secours de la prière et par la grâce de Dieu ? « Car tout don excellent et tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières » (Jac. 1,17), sans lequel nous ne pouvons rien ; c’est lui qui accomplit en nous nos œuvres, mais non cependant tout à fait sans nous. « Nous sommes, en effet, les coopérateurs de Dieu » (I Cor. 3,9), comme le dit l’Apôtre. Dieu veut être prié par nous, il veut nous voir ouvrir le secret de notre volonté à la grâce qui survient et frappe à la porte (cf. Ap. 3,20) ; il veut pour lui notre consentement.


Le Seigneur exigeait ce consentement de la Samaritaine, quand il lui disait : « Appelle ton époux » (Jn 4,16) ; comme s’il voulait dire : je veux t’infuser ma grâce ; toi, applique ton libre arbitre. Il exigeait d’elle la prière : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui lui aurais demandé de l’eau vive. » (Jn 4,10) Après avoir entendu cela du Seigneur, comme à partir d’une lecture, la femme ainsi instruite médita dans son cœur qu’il serait bon et utile pour elle d’avoir de cette eau. Puis, enflammée par le désir de la recevoir, elle se tourna vers la prière, en disant : « Seigneur, donnez-moi de cette eau-là, afin que je n’aie plus soif. » (Jn 4,15) Ainsi donc, la parole divine entendue, puis la méditation sur cette parole l’avaient incitée à prier. Comment, en effet, aurait-elle été portée à demander, si la méditation ne l’avait tout d’abord enflammée ? À quoi lui eût servi d’avoir médité, si la prière n’avait suivi, pour demander les biens qui apparaissaient désirables ? Ainsi donc, pour que la méditation soit fructueuse, il faut qu’elle soit suivie d’une prière fervente, dont la douceur de la contemplation sera pour ainsi dire l’effet.

14 Conclusion de ce qui précède

Mt 3,9

N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.

Rm 8,26

Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.

Mt 13,44

Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.

Ps 33,9

Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge!

Ps 45,11

« Arrêtez ! Sachez que je suis Dieu. Je domine les nations, je domine la terre.»

Ps 83,6-8

Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s'ouvrent dans leur coeur !

07 Quand ils traversent la vallée de la soif, ils la changent en source ; * de quelles bénédictions la revêtent les pluies de printemps !

08 Ils vont de hauteur en hauteur, ils se présentent devant Dieu à Sion.

Si 31,9

Qui est-il ? Nous le dirons bienheureux : parmi son peuple, il a fait des merveilles !

Rm 7,18

Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans l’être de chair que je suis. En effet, ce qui est à ma portée, c’est de vouloir le bien, mais pas de l’accomplir.

Nous pouvons déduire de tout cela que la lecture sans méditation est aride, la méditation sans lecture est sujette à l’erreur, la prière sans méditation est tiède, la méditation sans prière est sans fruit. La prière faite avec ferveur obtient la contemplation, mais le don de la contemplation sans la prière est rare ou miraculeux. Le Seigneur, en effet, dont la puissance est sans limites, et dont la miséricorde s’étend sur toutes ses œuvres, peut bien parfois changer des pierres en enfants d’Abraham (cf. Mt 3,9), en forçant les cœurs durs et les volontés rebelles à vouloir. Il est pour ainsi dire si prodigue « qu’il amène le bœuf par la corne », comme on dit vulgairement ; il lui arrive de se présenter sans être appelé, de se donner sans être cherché. Bien que cela ait été parfois le partage de quelques-uns, comme nous le lisons de Paul (Act. 9) et d’un petit nombre d’autres, nous ne devons pourtant pas à cause de cela présumer de tels dons, comme si nous voulions tenter Dieu, mais faire notre devoir, c’est-à-dire lire et méditer dans la loi de Dieu, le prier de venir lui-même en aide à notre faiblesse (cf. Rom. 8,26) et de voir notre imperfection. Lui-même nous a enseigné à le faire, lorsqu’il a dit : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira. » (Mt 7,7) Ici-bas, en effet, « le royaume des cieux souffre violence et ce sont les violents qui s’en emparent » (Mt 11,12).


Voilà comment peuvent être passées en revue les propriétés des divers degrés, après avoir fait les distinctions voulues ; voilà comment ils sont liés les uns aux autres, et ce que chacun d’eux produit en nous. Bienheureux l’homme dont l’esprit, vide de tout autre soin, désire être toujours occupé à gravir ces quatre degrés. Bienheureux celui qui, ayant vendu tout ce qu’il a, achète le champ où se trouve caché ce trésor si désirable (cf. Mt. 13,44) : se recueillir et comprendre combien le Seigneur est bon (cf. Ps. 33,9 ; 45,11). Bienheureux celui qui, appliqué au premier degré, attentif à chercher au second, fervent au troisième, élevé au-dessus de lui-même au quatrième, monte en se fortifiant de plus en plus par ces chemins que Dieu a disposés vers lui dans son cœur, jusqu’à ce qu’il voie Dieu lui-même en Sion (cf. Ps. 83,6-8). Bienheureux celui à qui il est accordé, ne fût-ce que pour un peu de temps, de demeurer en ce degré suprême, et qui peut vraiment dire : Voici que je sens la grâce de Dieu, voici que je contemple sa gloire avec Pierre et Jean sur la montagne, voici que je jouis avec Jacob des étreintes de la belle Rachel.


Mais qu’il prenne garde, cet heureux, après une telle contemplation qui l’avait élevé jusqu’au ciel, de ne pas tomber jusqu’aux abîmes dans une chute désordonnée, de ne pas se tourner, après une si admirable visite, vers les vaines mondanités et les attraits de la chair. Mais lorsque, dans sa faiblesse, la pointe de l’esprit humain ne peut soutenir plus longtemps l’éclat de la vraie lumière, qu’il descende doucement et avec ordre vers l’un des trois degrés par lesquels il était monté. Qu’il demeure successivement, tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre, selon qu’il y sera porté par son libre arbitre, en tenant compte du lieu et du moment ; il sera toujours, me semble-t-il, d’autant plus voisin de Dieu qu’il sera plus éloigné du premier degré. Mais hélas, combien fragile et misérable l’humaine condition !
Voici que nous avons vu ouvertement, par le raisonnement et le témoignage des Écritures, que la perfection de la vie bienheureuse est contenue dans ces quatre degrés, et que tout homme spirituel doit s’exercer continuellement à les gravir. Mais quel est celui qui marche dans ce sentier de vie? Qui est-il, pour que nous chantions ses louanges (Sir. 31,9)? Vouloir est au choix de beaucoup, mais parfaire est le lot de bien peu (cf. Rom. 7,18). Plaise à Dieu que nous soyons de ce petit nombre.

15 Quatre causes qui nous détournent de ces degrés

Jn 15,22

Si je n’étais pas venu, si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais à présent ils sont sans excuse pour leur péché.

Is 5,4

Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ?

Is 43,10

Vous êtes mes témoins – oracle du Seigneur –, vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi pour que vous sachiez, que vous croyiez en moi et compreniez que moi, Je suis. Avant moi aucun dieu n’a été façonné, et après moi il n’y en aura pas.

Jn 14,23

Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.

Ps 49,16-17

Mais à l'impie, Dieu déclare: « Qu'as-tu à réciter mes lois, * à garder mon alliance à la bouche,

toi qui n'aimes pas les reproches et rejettes loin de toi mes paroles ?

Si 18,30

Ne te laisse pas entraîner par tes passions, et réfrène tes appétits.

2 Co 12,4

cet homme-là a été emporté au paradis et il a entendu des paroles ineffables, qu’un homme ne doit pas redire.

2 Tm 4,4

Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques.

Ct 2,4

Il m’a menée vers la maison du vin : l’enseigne au-dessus de moi est « Amour ».

Ps 49,19

Tu livres ta bouche au mal, ta langue trame des mensonges.

Ps 112,7

De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre.

Ez 33,11

Tu leur diras : Par ma vie – oracle du Seigneur Dieu – je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive. Retournez-vous ! Détournez-vous de votre conduite mauvaise. Pourquoi vouloir mourir, maison d’Israël ?

Os 6,2

Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face.

Ps 83,8

Ils vont de hauteur en hauteur, ils se présentent devant Dieu à Sion.

Jn 16,22

Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera.

Ps 4,9

Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d'habiter, Seigneur, seul, dans la confiance.

Ap 22,17

L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » Celui qui entend, qu’il dise : « Viens ! » Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement.

Il y a communément quatre obstacles qui peuvent nous détourner de ces degrés : une nécessité inévitable, l’utilité d’une bonne œuvre, la faiblesse humaine, la vanité mondaine. La première est excusable, la seconde acceptable, la troisième misérable, la quatrième coupable. Et très coupable : il eût été meilleur, en effet, pour celui que cette cause détourne de sa ligne de conduite, de n’avoir pas connu la grâce de Dieu que de se retirer en arrière après l’avoir connue. Quelle excuse aura-t-il de cette faute (cf. Jn 15,22) ? Dieu ne pourra-t-il pas lui dire à bon droit : Que pouvais-je faire de plus que je n’aie fait pour toi ? (cf. Is. 5,4) Tu n’existais pas et je t’ai créé, tu avais péché en te faisant esclave du diable et je t’ai racheté, tu errais à travers le monde avec les impies (cf. Ps. 11,9) et je t’ai choisi (cf. Is. 43,10) : je t’avais donné ma grâce, établi en ma présence, je voulais faire de toi ma demeure (cf. Jn 14,23), et tu m’as vraiment méprisé ; tu as rejeté en arrière, non seulement mes paroles (cf. Ps. 49,17), mais moi-même, et tu as suivi tes propres convoitises (cf. Sir. 18,30).
Mais, ô Dieu bon, suave et paisible, doux ami, conseiller prudent, aide fort, qu’il est sans cœur et téméraire, celui qui vous rejette, celui qui repousse de son cœur un hôte si humble et si plein de clémence ! Ô quel malheureux et condamnable échange, de rejeter son créateur, d’accepter des pensées mauvaises et nuisibles, de livrer si vite à des pensées impures et au piétinement des porcs eux-mêmes (Mt 7,6) cette chambre secrète de l’Esprit Saint, c’est-à-dire le fond d’un cœur qui peu auparavant avait ses regards fixés sur les joies célestes ! Dans ce cœur sont encore chaudes les traces du passage de l’Époux, et déjà s’introduisent les désirs adultères. C’est une inconvenance et un déshonneur pour des oreilles qui venaient d’entendre des paroles ineffables que l’homme ne peut redire (cf. II Cor. 12,4), de se prêter si vite à écouter des fables (cf. II Tim. 4,4) et des détractions ; pour des yeux qui venaient d’être lavés par le baptême des larmes sacrées, de tourner tout à coup leur regard vers des vanités ; pour une langue qui venait de chanter un doux épithalame, qui avait réconcilié l’épouse avec l’Époux par ses paroles enflammées et persuasives, qui avait introduit l’épouse dans le cellier (cf. Ct. 2,4), de se tourner de nouveau vers les grossièretés, les bouffonneries, les machinations de fraudes (cf. Ps. 49,19), les médisances. Préservez-nous de cela, Seigneur. Mais si peut-être il nous arrive de retomber dans de telles chutes par faiblesse humaine, il ne nous faut pas en prendre occasion de désespoir ; recourons de nouveau à l’indulgent médecin qui tire l’indigent de sa poussière et relève le pauvre de son fumier (Ps. 112,7) ; et lui qui ne veut pas la mort du pécheur (cf. Éz. 33,11) nous soignera et nous guérira (cf. Os. 6,2) une fois de plus.


Voici venu le moment de terminer ma lettre. Prions tous le Seigneur d’affaiblir aujourd’hui en nous les obstacles qui nous détournent de sa contemplation, de les enlever entièrement à l’avenir. Qu’il nous mène de vertu en vertu par les degrés de cette échelle jusqu’à la vision de Dieu en Sion (cf. Ps. 83,8). Là ce n’est plus goutte à goutte ni par intermittence que les élus recevront la douceur de la divine contemplation, mais ils posséderont sans fin une joie que nul ne pourra leur ravir (cf. Jn 16,22), avec une paix immuable, la paix en lui (cf. Ps. 4,9).


Et toi, Gervais, mon frère, s’il t’est donné du ciel un jour de parvenir au faîte de l’échelle, souviens-toi de moi et, dans ton bonheur, prie pour moi. Qu’ainsi la courtine (cf. Ex. 26) tire à soi la courtine, et que celui qui entend, dise : Viens. (Ap. 22, 17)

GUIGUES II LE CHARTREUX, Lettre sur la vie contemplative (l’Echelle des moines). Douze méditations, (« Sources chrétiennes » 163), Paris.

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