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Une lecture croyante : l'intelligence typologique des deux Testaments

La lecture croyante des Écritures bibliques repose sur une conviction: la clé de lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament est l'événement Jésus-Christ, mort et ressuscité pour notre salut.


Cela signifie que Jésus-Christ est la clef de voûte qui unit les deux nefs que sont l'Ancien et le Nouveau Testament. Les Écritures ne trouvent leur sens qu’en la personne du Verbe incarné. Et simultanément le Verbe incarné n’est reconnaissable qu’à la lumière des Écritures. C'est pourquoi Saint Jérôme disait :

Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ. (saint Jérôme)

Comme les disciples d'Emmaüs, nous sommes invités à revenir aux Écritures pour reconnaître le Christ:

Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les prophètes! (...) Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. (Lc 24,25.27)

Quelle est cette fameuse leçon d'exégèse que le Christ ressuscité fit à ces deux disciples ce jour-là, à Emmaüs? On peut en trouver la teneur dans les discours de Pierre dans les Actes des Apôtres (Ac 2,14-36 ; 3,11-26). Là, Pierre relit les Écritures en montrant qu'elles convergeaient déjà sur le Christ. Il explique que les anciennes prophéties se réalisent en Christ.


Une très belle image illustre ce rapport entre l'Ancien et le Nouveau Testament, celle du moulin mystique:

Chapiteau de la basilique Sainte Madeleine, Vézelay. Photo: Wikipédia


Le moulin mystique est un des chapiteaux les plus célèbres de l'église de Vézelay. Deux mondes se rencontrent dans la scène du Moulin mystique, scène décrite par Suger qui la fit représenter sur un vitrail de Saint-Denis. À gauche, le personnage versant du grain dans le moulin, c'est Moïse, figure de l'Ancien Testament ; celui de droite, c'est saint Paul, représentant du Nouveau Testament. L'un est dans l'ombre, l'autre dans la lumière. Mais surtout, c'est la roue du moulin, cette forme parfaite qui lui apporte le mouvement, qui est en pleine lumière : le sculpteur l'a légèrement désaxée pour qu'elle soit toujours frappée par la lumière du sud ; et le moulin, ici, c'est le Christ, venu tirer la substance de la Loi ancienne pour la renouveler dans le message des Évangiles.


Mais on peut se demander en vertu de quoi est-il légitime de lire l'Ancien Testament comme une préparation du Nouveau? Pour répondre, il faut faire référence à un grand principe juif de lecture de la Bible:

Parce que cette Parole est divine, elle contient un autre sens, ou d’autres sens, que son sens obvie. La conviction des auteurs du Nouveau Testament est que la résurrection de Jésus fait maintenant venir au jour la signification la plus profonde, qui était jusqu’à maintenant cachée. (Michel Remaud, Evangile et tradition rabbinique, Paris, Lessius, 2018, p.246-247.)

Cette signification plus profonde des Écritures est précisément celle-ci: la clé de lecture des Écritures est le Christ ressuscité. En Christ et seulement en lui, se comprend l'adage de saint Augustin :

Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et dans le Nouveau, l’Ancien est dévoilé. (cité dans Dei Verbum, n° 16)

Ainsi, confesser le Christ, sans renier l’Ancien Testament, conduit à entrer dans une intelligence typologique des Écritures, c’est-à-dire à identifier les préfigurations dans l’Ancien Testament de ce qui s’accomplit dans le Nouveau.


Voici quelques exemples où l'Ancien et le Nouveau Testament sont mis en correspondance à la lumière de l'événement Jésus-Christ:


1. Saint Paul relit l'épisode de la source au désert à la lumière du Christ ressuscité

« 1 Car je ne veux pas que vous l’ignoriez, frères : nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer, 2 tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, 3 tous ont mangé le même aliment spirituel 4 et tous ont bu le même breuvage spirituel – ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c’était le Christ. 5 Cependant, ce n’est pas le plus grand nombre d’entre eux qui plut à Dieu, puisque leurs corps jonchèrent le désert. 6 Ces faits se sont produits pour nous servir d’exemples (en grec : types), pour que nous n’ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes. » (1 Co 10, 1‑6)

Sur ce vitrail, on voit Moïse faisant jaillir la source d'eau dans le désert, selon Exode 17,1-17:

Vitrail côté sud, vitrail supérieur de la 9ème travée. Église Saint Médard, à Tremblay-en-France.


2. L'évangéliste Jean relit l'épisode du serpent d'airain à la lumière du Christ

En Nombres 21,4-9, les serpents envoyés pour châtier l’infidélité d’Israël. Moïse façonne alors un serpent d’airain thérapeutique. Dans le Nouveau Testament, Jésus élevé sur la croix guérit lui-aussi les hommes:

« 14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, 15 afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle. » (Jn 3, 14‑15)

Vitrail côté nord, vitrail supérieur de la 9ème travée. Eglise Saint Médard, à Tremblay-en-France.


3. Jésus et les prophètes

La mission de Jésus a souvent été comparée à celle des prophètes. D'ailleurs, ne le prend-on pas pour un prophète?

« 13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : “Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ?” 14 Ils dirent : “Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes” – 15 “Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ?” 16 Simon-Pierre répondit : “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.” » (Mt 16, 13‑16)

Des vitraux de la cathédrale de Chartres montrent justement comment les prophètes soutiennent les évangélistes. On voit ici les quatre grands prophètes portant les quatre évangélistes sur leurs épaules.

Cathédrale de Chartes. Autour de la Vierge à l'enfant se trouve les quatre grands prophètes soutenant les quatre évangélistes. Photo: E. Pastore


4. La synagogue et l'église

Le Judaïsme et le christianisme sont représentés allégoriquement par deux figures de femmes dans plusieurs cathédrales gothiques. Alors que l'église est triomphante en raison de sa connaissance du Christ, la synagogue a les yeux bandés en raison de sa non-reconnaissance du Christ.

Provient du portail du transept sud de la Cathédrale de Strasbourg. Photo: Musées de la ville de Strasbourg


La typologie a parfois été employée abusivement, comme par exemple sur cette mise en parallèle de l'église et de la synagogue, sur la façade de Notre Dame de Paris. Le bandeau aveuglant la synagogue est devenu un serpent, «esprit du mal».

Ecclesia et Synagoga, façade principale de Notre-Dame de Paris. Photo: Wikipédia.


5. La pentecôte juive et la pentecôte chrétienne

La Pentecôte juive (Shavouot) acquiert un sens nouveau avec la Pentecôte chrétienne. Cinquante jours après la sortie d’Egypte (Pâque juive), Dieu communique la Loi à Moïse dans le feu et les éclairs, au Sinaï. Cinquante jours après la résurrection de Jésus (Pâques chrétienne), Dieu envoie son Esprit, qui est la loi nouvelle.

El Greco. La Pentecôte. Photo: Wikipédia.


6. La reine de Saba et les rois mages

Dans le premier livre des Rois (1 R 10,1-13), la reine de Saba voyage jusqu'à Jérusalem, afin de mettre à l'épreuve la renommée de sagesse de Salomon, roi d'Israël. Le vitrail de Cologne lit cet épisode en miroir avec celui de la venue des rois mages. Ils viennent d'Orient pour adorer le roi des Juifs qui vient de naître à Bethleem (Mt 2,1-12).

Cathédrale de Cologne, vitraux de la nef côté nord. A gauche, la reine de Saba auprès du roi Salomon et à droite les rois mages auprès de Jésus. Photo: mesvitrauxfavoris.com


Ainsi, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, les nations étrangères ont accès mystère du salut révélé à Israël. La perspective est donc très universaliste. Jésus-Christ est le sauveur de tous les hommes.


7. Le buisson ardent et la Vierge

Pourquoi la Vierge est-elle comparée au buisson ardent d'Exode 3? Parce que la virginité de Marie ne se consume pas, comme le buisson. Sur elle repose l’Esprit Saint sans qu’elle soit consumée. Et aussi, Dieu dit à Moïse en Ex 3 : « Je suis avec toi ». Et Dieu dit à Marie par l’ange : « Le Seigneur est avec toi ».

Nicolas Froment (1430-1486), Le Triptyque du Buisson ardent (huile sur toile de lin collée sur panneau de peuplier, 1475-1476), Cathédrale Saint-Sauveur, Aix-en-Provence, France.


L’Incarnation dans le sein de Marie est présentée comme l’accomplissement de la réalité qui avait bousculé Moïse.


Conclusion


La lecture typologique de la Bible indique au fond que "l’Écriture grandit avec ceux qui la lisent", comme le disait saint Grégoire le Grand. Son contenu n’est pas immobile, mais vivant. Chaque disciple qui écoute la Parole, puis la transmet, lui apporte de la nouveauté, de la profondeur, de l’épaisseur. Ce principe fécond de lecture et d’interprétation s’appelle la tradition. Chaque baptisé, disciple du Christ, y participe d’une certaine manière lorsqu’il lit les Écritures.


Emanuelle Pastore

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