De l’avis de nombreux chercheurs, la première formulation explicite de la foi en la résurrection des corps dans le corpus biblique est dans le chapitre 7 du Deuxième livre des Maccabées. Plusieurs biblistes ont cherché dans les philosophies ou religions voisines d’Israël dans les derniers siècles avant l’ère chrétienne des traces d’influence sur cette idée de résurrection. L’une des religions étant une candidate sérieuse comme origine de cette doctrine est celle de l’Iran ancien. Alors, la foi en la résurrection des corps vient-elle de Perse ?
Tombe dite du juste, Nazareth. Photo: E. Pastore
La théorie d’une origine iranienne de la résurrection est très partagée dans le monde scientifique. Le monde perse est un tout autre univers culturel que celui de la Bible. Examiner cette hypothèse est donc difficile, car cette culture iranienne est bien moins connue et l’accès aux textes est quasi impossible sans parler un certain nombre de langues persanes ou indiennes. Une première difficulté est donc de situer les croyances ‘iraniennes’ dans le temps et dans l’espace.
Le spécialiste de ces cultures, Geo Widengren, place l’origine de la résurrection dans une religion ‘indo-iranienne’ existant dans les peuples aryens du IIIe millénaire avant J.-C., qu’on retrouve dans les Veda et les autres textes de l’hindouisme naissant à cette époque. Mais une première limite de cette affirmation vient du fait que, compte-tenu de l’évolution de l’hindouisme par la suite, on est très loin d’une foi dans la résurrection des corps. Ce serait donc en deçà de l’Indus qu’auraient émergé les croyances qui nous intéressent ici.
Ensuite, qu’appelle-t-on ‘iranien’ ? Widengren étudie les populations couvrant l’Iran actuel, une partie de l’Asie Centrale, le Caucase, voire l’Ukraine : Mèdes, Perses, Elamites, Parthes, mais aussi Scythes, Sarmates, Arméniens qui sont des peuples d’une même famille.
Un troisième obstacle est le corpus de textes à considérer ; les plus anciens, les Gathas sont compliqués à dater. Ils s’incluent dans l’Avesta, dans certains Yasts (sans forcément d’ordre chronologique) et, plus tard, dans des écrits pehlevis, datant de la dynastie sassanide à partir du IIIe siècle ap. J.-C., c’est-à-dire à une époque très postérieure à la période maccabéenne. Or, beaucoup d’informations nous viennent de ces écrits tardifs, censés retranscrire la pensée zoroastrienne, mais nous renseignant peu sur le zoroastrisme contemporain du judaïsme du Second Temple du Ve siècle av. J.-C. au Ier siècle de notre ère. En outre, on ne sait presque rien sur Zoroastre - Zarathoustra - qui a pu vivre entre 1000 et 600 av. J.-C. selon les historiens. Si c’est sa doctrine qui s’est le plus imposée, le mazdéisme, le mandéisme et autres courants ont cohabité. Donc, par ‘religion iranienne’, qu’entend-on exactement ?
Représentation murale de soldats perses, Suse, 6ème siècle av. J.-C. Musée du Louvre. Photo: E. Pastore
Widengren conteste d’ailleurs que les Perses de la période achéménide, - ceux qui ont dominé les Juifs depuis la conquête de Babylone par Cyrus II au VIe siècle av. J.-C. jusqu’à leur défaite face à Alexandre le Grand au IVe siècle av. J.-C. - aient été zoroastriens, ce qui change beaucoup de choses sur leurs conceptions de l’au-delà. Widengren fait remarquer que la résurrection fait bien partie des croyances zoroastriennes, alors que les rois perses prenaient le deuil et avaient des coutumes funéraires que le zoroastrisme proscrit. La conclusion est sans appel : les élites perses de cette époque n’étaient pas zoroastriennes. Si nous suivons cet expert, les rois perses n’ont alors pas pu influencer leurs sujets israélites au sujet de la résurrection. D’autres Iraniens auraient-ils pu le faire ? Peut-être, car les choses semblent changer dans l’empire parthe (247 av. J.-C. – 224 ap. J.-C.) : l’archéologie funéraire nous montre que les rois parthes croyaient à l’immortalité de l’âme. Mais il ne s’agit pas vraiment de résurrection : si l’âme du mort s’élève, la dépouille reste dans le mausolée. Les divergences avec le zoroastrisme sont trop profondes.
En revanche, des résonances avec l’apocalyptique juive - qui est évocatrice de l’eschatologie et de la résurrection -, peuvent être discernées. Il semblerait bien que la résurrection des corps et l’immortalité d’une sorte d’âme, présentes dans le zoroastrisme dès des temps anciens, dépendent de l’action d’un envoyé du dieu suprême Ahura-Mazda, le Saoshyant. Celui-ci est un ‘vivificateur’, un sauveur et, peut-être plus tardivement, prêtre/sacrificateur. Son rôle s’est transmis plus tard dans le culte de Mithra, qui endosse alors un statut de dieu et de Saoshyant.
En outre, on trouve des résonnances avec le zoroastrisme dans la théologie de Qumran. Des textes de Qumran évoquent un « pont » au-dessus des abysses, qui fait penser au « Pont de Cinvat » que les âmes des défunts doivent traverser dans les mythes zoroastriens. Les âmes bonnes traversent, tandis que les méchantes tombent dans l’abime.
Cependant, les Parthes n’ont jamais occupé la Judée. Si influence il y a, elle ne peut alors qu’être culturelle (par exemple via la diaspora juive dans l’empire parthe), et non politique; et son cheminement reste à décrire. En outre, cette thématique du pont n’est pas présente dans la théologie juive ailleurs qu’à Qumran, ni dans le christianisme. Quant au sauveur-vivificateur qu’est le Saoshyant, il peut vaguement faire penser au Christ, tout comme Mithra qui revient à la vie. Mais alors, son influence sur le judaïsme serait nulle.
Le chercheur Jon Levenson, quant à lui, souligne des différences capitales entre la ‘résurrection’ zoroastrienne et la résurrection des corps juive. Jusqu’à nos jours, les Zoroastriens, ou Parsis en Inde, exposent leurs défunts sur des ‘tours du silence’, afin que le cadavre y pourrisse et soit dévoré par les charognards. La divergence avec le soin pour enterrer les morts en Israël, des patriarches et matriarches de la Genèse à 2 Maccabées 12, puis dans les traditions juive et chrétienne, est radicale. On ne parle probablement pas de la même ‘résurrection’. En fait, on ne sait pas exactement en quoi consiste la résurrection à l’iranienne.
Par conséquent, il est possible de soutenir l’opinion selon laquelle les emprunts à la religion perse ne sont venus qu’enrichir une foi en la résurrection déjà en germe et intrinsèque au judaïsme. Cette doctrine émergente s’est fait une place parmi d’autres conceptions de l’après-mort dans le monde juif, avec des analogies ou emprunts, non nuls mais limités aux solutions d’autres cultes.
De plus, la résurrection apparaît dans le judaïsme à l’époque hellénistique et non perse. Les Israélites auraient-ils ‘joué’ les Perses, disparus de la scène politique, ‘contre’ l’impérialisme politique grec, pour consolider leurs propres hypothèses théologiques ? L’idée est suggestive. Elle permet, au minimum, d’écarter une inspiration décisive du zoroastrisme dans l’émergence de la foi en la résurrection en Israël. Le débat, en tous cas, n’est pas clos.
Christel Koehler
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