Saviez-vous que la Vierge Marie aurait terminé sa vie à Éphèse, en compagnie de l'apôtre Jean?
A Éphèse, en Turquie actuelle, se trouve un charmant petit lieu de pèlerinage, appelé "la maison de Marie". Dans la même ville on vénère la tombe de l'apôtre Jean. Tous deux, Jean et Marie auraient donc achevé leur vie à Éphèse, plutôt qu'à Jérusalem. Mais que sait-on à propos de tout cela?
Premièrement, une donnée évangélique
Une petite enquête s'avère nécessaire pour faire le tour de la question. Tout d'abord, il faut se référer à un épisode raconté dans l'évangile selon saint Jean. Vers la fin du récit, alors que Jésus est en croix, il adresse quelques paroles mystérieuses à sa mère, Marie, ainsi qu'à Jean:
25 Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. 26 Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » 27 Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. 28 Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » (Jn 19,25-28)
Les paroles attribuées à Jésus sont extrêmement chargées de sens théologique. Il n'est pas question ici d'en faire un exposé approfondi. Pour notre propos, il suffit de relever quelques éléments. Tout d'abord, il y a une anomalie dans les paroles de Jésus à sa mère, puisqu'il ne l'appelle pas "mère", mais "femme". Étrange manière de s'adresser à sa maman, non? C'est que Marie n'est plus "seulement" la mère de Jésus, mais à partir de ce moment, elle devient "La Femme", autrement dit, elle devient la figure de toute l'Église. "Femme, voici ton fils". Jésus confie Jean, le disciple bien-aimé, à Marie. Une façon de dire qu'à travers Jean, ce sont en fait tous ses disciples, c'est-à-dire tous les baptisés, que Jésus met sous la protection de Marie, figure de l'Église. "Voici ta mère", dit encore Jésus à Jean. Tout comme Marie est notre mère, ainsi l'Église l'est-elle également. Marie a enfanté le Christ, tout comme l'Église enfante les chrétiens à travers les sacrements.

Icône de Jésus en croix, avec Marie et Jean.
Après ces paroles, le récit dit qu'"à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui". Une manière de dire que Jean ne se séparera jamais de Marie, c'est-à-dire qu'il ne se séparera jamais de l'Église. Ce texte se veut avant tout une exhortation pour chacun de nous: ne jamais cesser de tenir la main de Marie, ce qui revient à tenir la main de l'Église.
Pris dans un sens plus littéral, ce texte dit que Jean a accueilli Marie auprès de lui, sans doute pour lui offrir une protection. Jésus, le fils unique de Marie étant mort, on peut imaginer Marie veuve et désormais sans fils, c'est-à-dire abandonnée à elle-même dans une société qui n'était pas à l'avantage d'une femme seule.
Ceci est le point de départ d'une longue tradition concernant Jean et Marie. Or, on fait mémoire de tous les deux à Éphèse. Comment en est-on arrivé là?
Jean à Éphèse, une tradition non contestée
Pour la suite, nous sommes obligés de réunir les quelques données, dont nous disposons à propos de Jean, car sur Marie, on ne sait malheureusement rien de plus. La tradition a identifié l'auteur du quatrième évangile (Jean) à celui de l'Apocalypse, le dernier livre de la Bible. Or, dans l'Apocalypse, Jean écrit depuis l'île de Patmos (Grèce) et adresse son apocalypse à sept églises situées en Asie mineure (Turquie). L'une d'elle est Éphèse :
09 Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. 10 Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d’une trompette. 11 Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. » (Ap 1,9-11)
Notre connaissance sur la vie de saint Jean de Patmos (connu aussi comme Jean le Théologien' ou le 'Divin') provient pour la plus grande partie des récits apocryphes recueillis après sa mort.
Commençons par le début. Pour les Juifs, les judéo-chrétiens étaient devenus des traîtres. Ils ont souvent été considérés comme des ennemis. Pour les romains, le christianisme n'était rien d'autre qu'un nouveau mouvement juif. Comme les autres mouvements, on s'attendait à ce qu'il disparaisse ou survive en tant que secte après la crucifixion du Christ. Ce qui arriva pourtant a de quoi surprendre. Les chrétiens défièrent (non par le nombre mais par la sûreté de leur foi) la doctrine de la Synagogue, ainsi que la politique de Rome. Leurs chefs furent souvent arrêtés et éliminés. St Etienne et St Jacques le Mineur furent lapidés et St Jacques le majeur décapité. St Pierre et St Paul furent exécutés à Rome. Beaucoup de croyants durent fuir la Palestine et se réfugier dans d'autres pays.
C'est là que deux versions concurrentes apparaissent à propos de Jean. Une première source raconte qu'il fut martyrisé comme son frère Jacques et enterré à Jérusalem. Mais une autre source relate qu'en compagnie de Marie il voyagea à Éphèse en Asie Mineure, probablement pendant la Révolte Juive (66-70) qui se termina par la destruction du deuxième Temple à Jérusalem. Il aurait ensuite été exilé sur l'île de Patmos, où il écrivit le Quatrième Évangile et le livre de l'Apocalypse avant de retourner à Éphèse où il mourut et fut enterré.
Éphèse devait avoir à cette époque une population de plus de cent cinquante milles habitants, comprenant une large communauté Juive et environ un peu plus de mille Juifs et Gentils devenus chrétiens.
Ville d'Éphèse. Photos: BiblePlaces
En arrivant à Éphèse, Jean aurait été choqué de voir que certains chrétiens s'étaient compromis par des pratiques païennes, une situation qu'il mentionne dans sa première lettre de l'Apocalypse, celle qui est adressée aux Éphésiens:
01 À l’ange de l’Église qui est à Éphèse, écris : Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, qui marche au milieu des sept chandeliers d’or : 02 Je connais tes actions, ta peine, ta persévérance, je sais que tu ne peux supporter les malfaisants ; tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas ; tu as découvert qu’ils étaient menteurs. 03 Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. 04 Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné. 05 Eh bien, rappelle-toi d’où tu es tombé, convertis-toi, reviens à tes premières actions. Sinon je vais venir à toi et je délogerai ton chandelier de sa place, si tu ne t’es pas converti. (Ap 2,1-5)
Dans l'Apocalypse, Jean ne donne pas de détails quant aux raisons de son exil. Il dit simplement qu'il fut exilé à Patmos pour la parole de Dieu et le témoignage de Jésus (Ap 1,9). Pourtant, prêcher n'était pas considéré comme un crime conduisant au bannissement. Tant que les rassemblements ne suscitaient pas de troubles, l'administration romaine permettait aux citoyens la liberté de pratiquer toutes sortes de cultes. Selon les Romains, les chrétiens n'étaient pas regardés comme des criminels, mais comme des membres d'une religion interdite. Lorsque Pline le Jeune, alors gouverneur de la province de Bithynie écrivit à Trajan pour demander à l'empereur ses conseils quant au traitement des chrétiens dont le nombre augmentait, il admit avoir fait exécuter des chrétiens - comme ses prédécesseurs - sans savoir la nature exacte de leurs crimes. La lettre de Pline, est le premier récit documenté de la présence de chrétiens en Anatolie. Trajan, qui changea d'opinion au cours du temps, ne considérait pas les chrétiens comme dangereux.
A Éphèse il est probable que Jean fut accusé d'être un agitateur. Étant la figure la plus proéminente des communautés chrétiennes de la région, il a peut-être voulu servir d'exemple. La pire condamnation réservée aux criminels qui ne subissaient pas la peine de mort était la destitution de leurs droits civiques, de leurs possessions et leur bannissement dans un coin perdu de l'empire ou dans un lieu isolé. Jean aurait été accusé de refuser d'adorer l'empereur, spécialement l'Empereur Domitien (81-96), dont le culte était établi à Éphèse. Il s'agissait d'un crime capital passible d'exécution. L'énorme édifice construit au sud de l'agora à Éphèse fut le premier temple érigé au culte impérial en Anatolie, et il dut avoir un effet sur les chrétiens de cette cité.
Temple d'Adrien, Éphèse, 2è siècle. Photos: BiblePlaces
Une autre tradition grecque raconte qu'après son arrivée à Éphèse, le récit des miracles de Jean arriva aux oreilles de l'empereur Domitien (51-96) qui le fit venir à Rome. Là, son pouvoir fut mis à l'épreuve en lui faisant boire une coupe de poison qui tua un criminel, mais lui, ne l'affecta pas. Il aurait aussi ressuscité une jeune fille qui aurait été tuée par un mauvais esprit. Domitien, impressionné par ce qu'il aurait vu, aurait opté pour le bannissement de Jean à Patmos, bannissement qui dura jusqu'à la mort de l'empereur.
Patmos. Photos: E. Pastore
Parmi les auteurs latins, un autre récit raconte comment Jean fut conduit à Rome sous les ordres de l'empereur et mis dans un chaudron contenant de l'huile bouillante, mais il en sortit indemne. Le lieu choisi pour exiler Jean aurait été une de ces îles volcaniques sur la mer Égée, à environ 80 kilomètres au sud d'Éphèse, et qui servait de colonie pénale. Une chronique byzantine plus récente précise que l'île est "déserte et aride, couverte de chardons et de buissons impossible à franchir qui sont d'ailleurs la raison de la stérilité de l'île".
Jean aurait donc été exilé à Patmos avec son disciple Prochore, l'un des diacres de l'église de Jérusalem (Ac 6,5). Pendant le voyage en navire à Patmos, il sauva un garçon tombé à la mer.

Miracle de saint Jean. Monastère de Patmos. Photo: E. Pastore
On ne sait si la durée de cet exil à Patmos fut d'un an et demi, de cinq ou de quinze ans. Pendant son séjour forcé, Jean continua à prêcher l'Évangile et convertit les habitants de Patmos. Une tradition relate que lorsque les rumeurs de son activité parvinrent aux oreilles des prêtres du Temple d'Apollon, ils demandèrent l'aide d'un magicien fameux appelé Kynops, dont le tour le plus prisé par la foule était de se jeter à la mer et d'en revenir indemne après une période de temps assez longue. Devant les témoins défiant Jean de faire la même chose, celui-ci étendit les bras en forme de croix et pria ainsi:
'O toi, qui ne permit pas à Moïse dans cette similitude de vaincre Amaleq (cf. Exode 17,11). O Seigneur Jésus, fais tomber Kynops au fond de la mer ; ne lui permet pas de revoir le soleil ni de parler aux hommes vivants.'
Après un certain temps, le corps pétrifié du magicien fit surface sous la forme d'un rocher, à peu de distance de la rive. Les pêcheurs disent que c'est depuis ce temps qu'à cause du magicien les coquillages recueillis autour du rocher ont mauvais goût.
Sur l'île de Patmos, Jean n'était pas enchaîné et il pouvait se déplacer librement. Ce fut dans une grotte sur Patmos qu'il écrivit le quatrième évangile et qu'il reçut les visions du dernier livre du Nouveau Testament connu sous le nom de l'Apocalypse. Il dicta ses livres à Prochore, son secrétaire.

Jean dictant l'évangile et l'Apocalypse à Prochore, grotte de l'Apocalypse, Patmos. Photo: E. Pastore