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Une épée te transpercera l'âme

Le 15 septembre, nous fêtons une étrange fête, celle de Notre Dame des Douleurs. Pourquoi faire mémoire des douleurs de la Vierge? Quel est donc le sens de cette fête souvent méconnue? Il ne s'agit certainement pas de faire l'éloge de la souffrance, mais alors de quoi s'agit-il?


Devenue mère du Christ, « par la puissance de l’Esprit Saint », Marie a également été « associée à la Passion du Christ » (Préface de la messe du jour), ce qui lui a valu le titre de Notre Dame des Douleurs. Dieu a voulu que «la nouvelle Eve se tienne près de la croix du nouvel Adam ».


Cette croix est plantée au sommet de la Montagne de Sion.

« La Montagne de Sion, c’est le pôle du monde. » (Ps 48)

La Montagne de Sion, c’est le Golgotha. La Montagne, c’est le Christ en Croix, c’est le Crucifié. Tout pèlerinage conduit à ce « pôle du monde. »


A gauche, basilique du Saint Sépulcre à Jérusalem, construite autour du rocher du Golgotha (centre). A droite, représentation de Notre Dame des Douleurs, chapelle du Golgotha. Photos: BiblePlaces

« Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : “Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, – et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! – afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs.” » (Lc 2, 34‑35)

La prophétie de Syméon, rapporté en st Luc 2,34-35, est à la fois prophétie d’ombre et de lumière, puisque sont « annoncés la chute et le relèvement. » Déjà le prophète Isaïe avait annoncé : « Il sera un rocher qui fait tomber, une pierre d’achoppement pour les deux maisons d’Israël » (Is 8, 14). Dans la Lettre encyclique, « la Mère du Rédempteur », saint Jean-Paul II commente la prophétie du vieillard Syméon au numéro 16 :

« Ce que dit Syméon apparaît comme une seconde annonce faite à Marie, car il lui montre la dimension historique concrète dans laquelle son Fils accomplira sa mission : dans l’incompréhension et dans la souffrance. »

L’épée est bien le glaive qui coupe Israël pour n’en laisser qu’un « reste », mais la rupture produit un nouvel enfantement ; Israël est divisé, mais Marie, la fille de Sion, l’est plus encore. Cette épée préfigure le destin de tous ceux qui, avec Marie, accueilleront la Parole et la garderont :

« Vivante, en effet, est la Parole de Dieu, efficace et plus tranchante qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit… elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. » (He 4, 12)

L’évangile de saint Jean en 19,25-27 nous livre la totalité du Mystère qui s’accomplit à la Croix.

« Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à LA mère : “Femme, voici ton fils.” Puis il dit AU disciple : “Voici ta mère.” Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit comme sienne. » (Jn 19, 25‑27)

Les versets qui précèdent ce passage nous ont présenté les soldats romains (des païens) se partageant les vêtements du Christ ; le deuxième volet de ce diptyque met ici en scène les saintes femmes, dont Marie, Mère de Jésus. C’est dire qu’au pied de la croix toute l’humanité est symboliquement présente à travers Juifs (les femmes) et païens (les soldats). Autre remarque d’importance : le texte grec précise qu’il s’agit – non de sa mère – mais de LA mère (v. 26), ce qui est le moyen d’indiquer en grec l’universalité du rôle de Marie au pied de la croix. Comme le proclamera le Pape Paul VI à la conclusion du Concile Vatican II, Marie est vraiment, de par la volonté de son Fils, la « Mère de l’Église ». Cette remarque grammaticale s’applique également au « disciple que Jésus aimait » : il est LE disciple (v. 27), celui qui nous désigne tous de toujours à toujours.


Moment d’une grande solennité puisque le Christ par sa mort nous réconcilie tous avec le Père et puisque Marie révèle l’accomplissement de la fonction féminine : participer à l’enfantement du monde nouveau.


Peut-on tenter d’entrer dans les sentiments de Marie ? Comme fille d’Israël, tout événement est médité à la lumière de l’Écriture. A la suite d’Israël, Marie sait que son Dieu, le Dieu de l’Alliance, est fidèle à ses promesses de salut : « J’espère le Seigneur de toute mon âme, je l’espère et j’attends sa parole… » (Ps 130,5). De plus, saint Luc nous dit que « Marie gardait toutes ces choses en son cœur. » (Lc 2,51), et elle a conservé attentivement les oracles de souffrance et de mort annoncés par Jésus. On peut y ajouter la mémoire de la foi d’Abraham qui crut que « Dieu peut aller jusqu’à ressusciter les morts. » (He 11,19)


Et comment comprendre les lamentations de Notre-Dame au pied de la croix ? « Heureux ceux qui se lamentent, car ils seront consolés » (Mt 5,5). Dans l’Écriture, les « lamentations » ont un contenu très précis et elles sont motivées par la vision des péchés de l’humanité. Il faut relire Ézéchiel 9,1-6 où il est question d'« un homme vêtu de lin chargé de marquer d’une croix au front les hommes qui gémissent et qui se lamentent sur toutes les abominations. »


Au pied de la croix, la foi, la charité et l’espérance de Notre-Dame atteignent leur point d’incandescence : un cri a déchiré la nuit : « Tout est accompli », Marie est vraiment l’eser (ou aide en hébreu, Gn 2,18b), c’est-à-dire celle qui assure une « présence » jusqu’au bout, car elle sait que « Dieu peut aller jusqu’à ressusciter les morts ». (He 11,19)


Marie-Christophe Maillard

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