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Autorité et service selon l'évangile

« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Que faut-il comprendre vraiment? Le christianisme est-il "une morale de faibles", comme l'affirmait Nietzche? Décryptons le discours de Jésus en Mt 23,1-12 :

01 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, 02 et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. 03 Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. 04 Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. 05 Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; 06 ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues 07 et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. 08 Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. 09 Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. 10 Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. 11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12 Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. (Mt 23,1-12)

Ce discours de Jésus n’est pas qu’une leçon moralisatrice invitant à l’humilité : «Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé». Il s’agit plutôt d’une véritable proclamation de foi sur l’identité de Jésus et sa mission. Découvrons pourquoi.


Jésus réfléchit à la fonction des scribes et pharisiens qui enseignent dans la chaire de Moïse. Peut-être qu’un siège spécial, fait en pierre, leur était réservé dans certaines synagogues ?

Chaire de Moïse trouvée sur le site de Chorazeïn, Israël. Photo: BiblePlaces


Toujours est-il que les scribes et pharisiens sont reconnus pour transmettre l’enseignement du plus grand des prophètes, Moïse. Moïse – et à travers lui surtout la Loi que Dieu lui a révélée – constitue la plus grande autorité en Israël. Toute la vie religieuse du peuple juif est articulée en fonction de la Loi de Moïse. Jésus ne dévalorise en rien la Loi de Moïse, puisqu’il dit aux foules : « Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le ». Dans ce même évangile selon saint Matthieu, on peut lire une idée semblable : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5,17)

Marc Chagall, le don de la Loi à Moïse, au Sinaï.


Ce n’est pas la Loi qui fait difficulté, mais plutôt ceux qui sont censés être au service de cette Loi. Autrement dit, Jésus ne craint pas de dénoncer les abus d’autorité de ceux qui « se servent » de la Loi au lieu de la servir. Le sujet n’est-il pas brûlant d’actualité ? Jésus pointe l’hypocrisie des chefs qui exigent du peuple une fidélité sévère, voire tyrannique, envers chaque énoncé de la Loi, tandis qu’eux-mêmes ne s’imposent pas ce fardeau. Ils sont spécialistes pour commenter la Loi, mais pas pour l’observer.


D’après Jésus, ils ne se préoccupent que de leur réputation. Comment agissent-ils ? Ils portent de grands phylactères sur le front et des franges bien visibles qui tombent sur leur vêtement. Or, ces deux accessoires sont portés pour se souvenir d’observer la Loi de Moïse à tout moment de la journée. La perversion des scribes et pharisiens est totale : ils utilisent la Loi pour se faire valoir eux-mêmes et non pour ce qu’elle est. Une chose aussi sainte que la Loi est détournée et employée pour une fin contraire : non pas plaire à Dieu, mais plaire aux hommes.

Après cela, Jésus dénonce l’emploi de trois titres qui sont employés à tort : rabbi, père et maître. Le contexte est toujours celui du discours dénonçant l’attitude des scribes et pharisiens. Le rabbi – qui littéralement signifie « mon grand » – désignait un guide spirituel ayant des disciples. Or, Jésus est en train de dire que désormais le vrai et seul rabbi à suivre, c’est lui : « vous n’avez qu’un seul rabbi ! » Lorsqu’il rappelle que tous les hommes sont frères – qu’ils soient scribes, pharisiens ou illettrés –, c’est pour bien remettre les scribes et pharisiens à leur place et pour expliquer qu’une autorité supérieure lui a été conférée à lui, le véritable rabbi : Jésus n’enseigne pas comme les scribes et pharisiens, car son autorité lui vient de plus haut. Ailleurs, l’évangéliste explique justement que Jésus « les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes » (Mt 7, 29). Ce qui signifie que Jésus est rabbi d’une manière unique et supérieure.


Or quel est le cœur de l’enseignement de ce rabbi ? Justement, de nous dire que nous n’avons qu’un seul Père, celui des cieux. Car le titre de « père » était également employé par les chefs. Mais Jésus rappelle que Dieu est Père d’une manière unique et incomparable. « Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux, que ton Nom soit sanctifié » (Mt 6, 9).


Quant au troisième titre, qu’on peut traduite par « maître » ou « directeur », Jésus l’emploie pour qualifier le Christ, c’est-à-dire le Messie qu’il est lui-même ! On avait l’idée, à l’époque de Jésus que, lorsque viendrait le Messie, il expliquerait tout. C’est pourquoi la femme samaritaine lui dit la chose suivante : « “Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout.” » (Jn 4,25)


On comprend maintenant que le fond de ce discours vise à expliquer au peuple, aux scribes, aux pharisiens et aux disciples de Jésus que le Messie est in fine celui qui est véritablement autorisé pour relayer la Loi de Moïse et que ce Messie est Jésus en personne.


De plus, Jésus ne s’est pas auto-proclamé « Messie », mais il l’est parce que cela lui vient d’en haut, contrairement aux scribes et pharisiens qui s’octroient eux-mêmes leurs titres de noblesse ou qui cherchent à les gagner auprès des gens. Lorsque Jésus dit « qui s’élèvera sera abaissé », il dénonce la prépotence humaine à vouloir s’attribuer quelque chose qui ne peut être qu’un don de Dieu.


Et lorsqu’il dit « qui s’abaissera sera élevé », n’est-il pas en train de parler de lui-même ? Non seulement c’est du Père qu’il tient son autorité, mais il y a aussi quelque chose de sa passion et résurrection qui est contenu dans cette affirmation. N’oublions pas que ce discours est le dernier avant l’arrestation de Jésus. Si Jésus se dit rabbi et maître, c’est dans une attitude de service qu’il l’envisage : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Ces derniers versets du discours renvoient probablement au mystérieux serviteur d’Isaïe, en Is 52,13 : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! » C’est donc la destinée de Jésus qui est entrevue derrière ces mots. Il est mort et ressuscité. L'humilité n'est donc pas un masque derrière lequel on se cache, mais elle est plutôt... la vérité! Comme le disait sainte Thérèse d'Avila. Une vérité qui a animé la vie de Jésus et une vérité qui devrait inspirer notre vie chrétienne.


Emanuelle Pastore

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