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Jacob, l'homme qui a vu Dieu face à face et a eu la vie sauve

23 Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq. 24 Il leur fit passer le torrent et fit aussi passer ce qui lui appartenait. 25 Jacob resta seul. Or, quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. 26 L’homme, voyant qu’il ne pouvait rien contre lui, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. 27 L’homme dit : « Lâche-moi, car l’aurore s’est levée. » Jacob répondit : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis. » 28 L’homme demanda : « Quel est ton nom ? » Il répondit : « Jacob. » 29 Il reprit : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël (c’est-à-dire : Dieu lutte), parce que tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté. » 30 Jacob demanda : « Fais-moi connaître ton nom, je t’en prie. » Mais il répondit: « Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Et là il le bénit. 31 Jacob appela ce lieu Penouël (c’est-à-dire : Face de Dieu), « car, disait-il, j’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. » 32 Au lever du soleil, il passa le torrent à Penouël. Il resta boiteux de la hanche. (Gn 32,23-32)

Cet épisode est décisif puisque Jacob reçoit le nom « d’Israël » qui apparait pour la première fois dans la Bible (v. 29). Le récit de la lutte dont Jacob (« celui que Dieu protège ») sort à la fois vainqueur et blessé est quelque peu obscur. Le récit a évidemment pour point central le nom même de la « lutte » (v. 25) qui, en hébreu, correspond au sens du nom d’un lieu, « Yabboq » (v. 23).

Torrent Yabboq, Jordanie. Photos: BiblePlaces


Mais le récit justifie aussi le nom du lieu où, au-delà du gué de Yabboq, le combat est suivi de la vision d’un Dieu qui bénit Jacob, lui donne le nouveau nom « Israël », et refuse de dire le sien : ce lieu est Penu’èl (v. 31) : « Face à face».


« Dieu était là, et je ne le savais pas » : Dieu est là, et nous ne le savons pas !


La « pâque » de Jacob va se dérouler de nuit (v. 23). Comme pour l’Alliance avec Abraham : « Comme le soleil allait se coucher, une torpeur tomba sur Abraham » (Gen 15 ,17) ; comme pour la sortie d’Egypte quand la voix de Dieu se fit entendre au cœur des ténèbres : « Cette nuit durant laquelle le Seigneur a veillé pour les faire sortir d’Egypte doit être pour tous les Israélites une veille pour le Seigneur » (Ex 12,42) ; et il en fut de même pour la traversée de la Mer Rouge : « Le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent. » (Ex 14,21)


Pourquoi « la nuit » ? parce qu’en effet le face à face de Jacob n’était pas celui du ciel : la nuit le protégeait de la GLOIRE intolérable de Dieu, comme la main de Dieu protégeait Moïse durant son passage. Et c’est aussi pourquoi ce combat est bien l’image de toute notre vie, longue nuit pendant laquelle se lève peu à peu l’aurore de la vie éternelle.


« Jacob resta seul » (v. 25) ; pour rencontrer Dieu, Jacob doit être seul. Une certaine expérience de Dieu ne peut se vivre que dans la solitude : seul avec le Seul. C’est pourquoi Jacob laisse sa famille et ses biens. On pourrait presque dire qu’il va affronter la présence de Dieu après s’y être préparé dans l’obéissance. De plus, le mot « seul » en hébreu résonne comme le mot « un », c’est-à-dire ressemblant au Dieu UN, désireux d’adorer le Dieu UN, de rencontrer le Dieu UN…


« Voyant qu’il ne pouvait le vaincre… » (v. 26) : ces simples mots nous entrainent dans les dernières profondeurs du secret de Dieu…Dieu qui ne peut pas nous vaincre, qu’est-ce que cela veut dire ? Jacob semble être le plus fort ! Ce verset est le plus précieux, parce qu’il nous met concrètement en face des profondeurs de l’amour de Dieu, dont nous ne soupçonnons jamais toute la violence, ni en même temps la délicatesse. Le plus névralgique, parce que cet amour, comme tout grand amour, est timide et totalitaire : il donne tout et demande tout, mais il l’attend de notre liberté, non d’une séduction qui diminuerait notre lucidité…

Le combat de Jacob avec l'ange, par Delacroix. Église Saint Sulpice, Paris.

Photo: Wikipédia


C’est l’autre qui lui demande de le lâcher (v. 27), et Jacob met une condition : « Je ne te lâcherai pas que tu ne m’aies béni. » Le rival (Dieu), au lieu de céder à la demande de Jacob, lui demande son nom : « Quel est ton nom ? » Ici, la lutte prend un tournant important.


Connaître le nom de quelqu’un, implique une sorte de pouvoir sur la personne, car le nom contient la réalité la plus profonde de l’individu et son secret. En révélant son nom, Jacob se place entre les mains de son adversaire (Dieu) : façon de capituler, de s’en remettre totalement à l’autre. Mais dans le geste de se rendre, Jacob résulte paradoxalement aussi vainqueur, car il reçoit un nom nouveau (v. 29) : « On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l’as emporté. »


Quant à Dieu, il révélera son identité, en donnant sa bénédiction (v.30) . Ayant ainsi reçu la bénédiction, Jacob peut finalement reconnaître l’Autre, le Dieu de la bénédiction : « J’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve. » (v. 31) Il peut à présent traverser le gué, porteur d’un nom nouveau, mais marqué pour toujours, boiteux à la suite de la blessure reçue. (v.32)


Dans l’éternité, chacun recevra un nom nouveau inscrit sur le caillou blanc de l’Apocalypse : Dieu seul sait vraiment où est notre point faible, cette articulation de la hanche où il doit frapper pour que, petit à petit, nous devenions infirmes ; c’est un secret, finalement entre Lui et nous, et c’est pourquoi souvent nous cachons si bien cette blessure. Toute notre vie est comme cette longue nuit de lutte et de prière, qu’il faut passer dans le désir et dans la demande d’une bénédiction de Dieu, qui ne peut être reçue comme arrachée en comptant sur nos forces, mais qui doit être reçue avec humilité de Lui, qui permet, enfin, de reconnaître, de voir le Visage du Seigneur.


Mais encore davantage : Jacob, qui reçoit un nom nouveau, devient Israël et il donne un nom nouveau au lieu où il a lutté avec Dieu : il le renomme « Penouël », Visage du Seigneur. Avec ce nom, il reconnaît ce lieu comblé de la Présence du Seigneur, il rend cette terre sacrée en y imprimant presque la mémoire de cette mystérieuse rencontre avec Dieu.


Celui qui se laisse bénir par Dieu, qui s’abandonne à Lui, qui se laisse transformer par Lui, rend le monde BENI.


Sr. Marie-Christophe Maillard

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