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Une vigne, des vignerons et... un pressoir!

Il y a bien une parabole qui illustre le plus grand drame de la vie de Jésus : le rejet de la part de son propre peuple. Lui, le messie d’Israël n’est pas reçu par tout Israël. Saint Jean exprimait cette terrible réalité par d’autres mots qui trouvent leur écho dans le texte qui nous occupe aujourd’hui: « Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,10-11)


Allons au chapitre 21 de l’évangile selon saint Matthieu. Jésus est déjà entré dans Jérusalem. Sa passion est toute proche. Le contexte d’hostilité envers Jésus est de plus en plus intense :

33 « Écoutez une autre parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. 34 Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. 35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. 36 De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. 37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” 38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” 39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. 40 Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » 41 On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » 42 Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! 43 Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. 45 En entendant les paraboles de Jésus, les grands prêtres et les pharisiens avaient bien compris qu’il parlait d’eux. 46 Tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, parce qu’elles le tenaient pour un prophète. (Mt 21,33-46)

Vignes en Terre Sainte. Photos Bible Places.


Par cette parabole, Jésus exprime sans doute son ressenti personnel douloureux face à tant d’adversité, mais il dénonce également l’aveuglement de son peuple. En cela, Jésus se place en prophète et c’est bien ainsi que les foules le considèrent (v. 46). Or, on sait le sort qui attend tout prophète à Jérusalem : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyées… » (Mt 23,37), dira Jésus quelques versets plus en avant.

A gauche: Pressoir à vin, Avdat, Israël. A droite, Ville nabatéenne d'Avdat connue pour son vin, bien que située dans le désert du Néguev.

Photo: Bible Places


La parabole de la vigne trouve de profonds échos dans un texte d’Isaïe, au chapitre 5, où le peuple d’Israël était déjà figuré par la vigne. Là, la vigne ne donnait que des mauvais fruits. Ici, en Matthieu 21, l’attention est portée sur le propriétaire de la vigne. Jésus donne un sens tout particulier à cette parabole. Le propriétaire de la vigne est un père, puisqu’il enverra son fils à la vigne. Face à la violence des vignerons qui avaient frappé, lapidé et tué les autres serviteurs, le père ignorait-il le sort qui serait réservé à son fils ? Mais alors, pourquoi donc l’a-t-il envoyé à la mort ? Pourquoi prendre un tel risque ?


Ce n'est pas un hasard si l'iconographie chrétienne a, très tôt déjà, identifié Jésus au raisin qui est pressé pour en extraire le jus. Son sang versé pour le salut des hommes est comparé au vin qui réjouit le cœur de l'homme et le pressoir est représenté par la croix.

Mise au jour au lieu-dit Qabr Hiram, dans les environs de Tyr (actuel Liban), par Ernest Renan en 1860, la mosaïque de l'église Saint-Christophe (VIe siècle) est par sa taille, 120m2, et la qualité de son exécution, la pièce maîtresse de la collection de mosaïques antiques du Louvre.


On y voit, des représentations bucoliques: personnification des mois, des saisons, des vents, ainsi que des végétaux (grenades et fleurs) et des animaux (agneaux, chèvres, bouquetins, poissons, coqs, lions...). Mais ce n'est pas tout! Dans le médaillon central, se trouve un pressoir à vin en forme de croix. Il y a toute une leçon de théologie derrière ces images: avec le Christ, vin nouveau donné pour une vie nouvelle, c'est la Création tout entière qui est pacifiée et sauvée.


Voici une représentation plus tardive, mais bien plus explicite:

Au centre: Jésus offrant son sang au pressoir de la croix.

En bas: Les représentants de l'Eglise recueillant le sang précieux versé pour le salut du monde.

Vitrail du 17è siècle, église Saint Etienne du Mont, Paris.

Photo: Emanuelle Pastore


Pour mieux saisir le mystère du fils rejeté, il faut lire les Écritures, comme Jésus nous y invite lui-même : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures… ? » Le texte qu’il faut lire cette fois est un psaume :

« La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire ; c’est là l’œuvre du Seigneur : quelle merveille à nos yeux ! » (Ps 118,22-23)

Cette pierre constitue précisément l’œuvre du Seigneur, la merveille qu’il fait pour les hommes ! En quoi consiste donc cette merveille ? Pour l’instant, elle n’est pas encore visible, mais on sera vraiment en mesure de la comprendre après la résurrection de Jésus. Dans une prise de parole de Pierre face aux chefs du peuple et aux anciens, Pierre va précisément donner la clé pour saisir ce que Dieu fait par son Fils : « C’est lui la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle. » (Ac 4, 11) Oui, c’est lui ! Il n’y a plus de doute : le fils de la parabole est bien Jésus et le propriétaire de la vigne est bien le Père. Et Pierre continue : « Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12). Voilà la merveille que Dieu fait pour son peuple : il les sauve en leur envoyant son Fils. Ce salut n’est visible qu’à partir de la résurrection. Parce que Jésus est ressuscité, il devient la pierre d’angle pour tous les hommes en attente du salut.


La pierre d’angle est la pierre qui, dans une construction, permet de joindre les deux murs. Elle a une fonction d’unité. Jésus est la pierre d’angle qui permet de réunir le peuple d’Israël et tous les autres peuples. La pierre d’angle permet de réunir les juifs et les païens. Elle assure l’unité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre la première et la nouvelle Alliance. Voilà en quoi consiste la merveille que Dieu fait à nos yeux ! Jésus est en sa personne-même l’accomplissement des promesses faites par Dieu à Israël. Sur lui, la pierre d’angle, repose toute l’espérance d’Israël.


Néanmoins, pour accomplir cette mission, le Fils empruntera le chemin du rejet et de l’incompréhension jusqu’à être tué. Par cette parabole, Jésus essaie de raisonner ses adversaires, grands-prêtres et pharisiens. Il essaie de leur faire prendre conscience de leur enfermement et de leur aveuglement face à l’œuvre que Dieu est en train de réaliser devant leurs yeux. La parabole a une fonction pédagogique, celle d’amener ses auditeurs à la conversion. Car il est encore temps de se convertir !


Emanuelle Pastore

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